Michel MERCKEL : une passionnante conférence

Publié le par Amis de l'Athlétisme de la Vienne

Michel MERCKEL à l'école Irma JOUENNE
Michel MERCKEL à l'école Irma JOUENNE

En cette année de commémoration du centenaire de la guerre de 14-18, où des rétrospectives sont proposées un peu partout, les Amis de l'Athlétisme, pour se joindre à ces hommages ô combien justifiés, tout en restant dans le créneau qui est le leur, c'est à dire le sport, avaient convié Michel Merckel, ancien professeur d'éducation physique, judoka et sportif émérite, et surtout petit-fils de poilu, à venir à Poitiers faire une conférence sur ce thème, le vendredi 7 novembre, dans l'amphithéâtre de la Fac de Sport.

Devant un auditoire passionné (que l'on aurait aimé un peu plus fourni), le conférencier a tenu son public en haleine pendant une bonne heure et demi. Auteur d'un livre qui connaît un beau succès, 14/18 le sport sort des tranchées, il a démontré avec un luxe de détails et une grande érudition, comment pendant ces moments apocalyptiques et peu favorables au jeu, la pratique du sport, qui avant la guerre était relativement confidentielle, s'est largement démocratisée. Pour beaucoup d'entre nous, les arguments présentés par Michel Merckel, qui on le devine a fait un travail de recherche exceptionnel, ont été une découverte surprenante.

En effet avant la Grande guerre, la majorité des jeunes soldats appelés sur le front étaient surtout des paysans, et le sport ils le pratiquaient dans les champs... Cette guerre a été, comme on le sait, une grande boucherie et au fil des événements quelques gradés se sont aperçus qu'il était nécessaire d'avoir des soldats en bonne condition physique et que lorsqu'ils étaient en repos, au-delà des premières lignes, les activités qu'on leur proposait pour entretenir leur moral ne les enthousiasmaient guère... Des sportifs eurent une idée de génie, heureusement partagée par une partie de l'état-major, à savoir taper dans un ballon, courir, sauter, lancer des grenades, des grosses pierres, et surtout opposer des équipes, des représentants de régiments, des sections, le tout dans une ambiance de jeu et de camaraderie : pour beaucoup ce fut une révélation.

Je ne vais pas m'étendre trop et raconter la soirée, mais vraiment ce fut un moment très fort, et pour les sportifs intéressés par la genèse de leur violon d'Ingres, je leur conseille vivement de se procurer l'ouvrage en question (se renseigner auprès des Amis de l'Athlétisme). Au fil des commentaires pleins d'érudition et avec l'aide d'une projection de diapos, nous avons découvert comment, peu à peu, on a sensibilisé les hommes à la pratique d'une activité ludique qui faisait oublier pendant un (court) instant l'horreur des tranchées. Pour les gradés, évidemment l'intérêt était un peu différent, il s'agissait surtout d'avoir ainsi des combattants en meilleure condition physique que ceux d'en face...

On distribua des ballons, et des matchs homériques furent disputés sur des terrains qui feraient frémir nos champions actuels, habitués à un confort un peu plus consistant ! On pratiquait également la gymnastique sur des agrès rudimentaires, des matchs de tennis-volley, des épreuves de tir à la corde. Il faut savoir qu'à l'époque les sports les plus populaires étaient la boxe, dont des combats furent organisés pour distraire les soldats au repos et le cyclisme, dont les premiers Tours de France avaient enthousiasmé le public ; on apprendra ainsi que pendant les combats, des groupes de chasseurs cyclistes seront formés, dont le rôle militaire d'ailleurs ne sera pas anodin. Tout au long de cette conférence passionnante nous découvrons également un essor incroyable du sport féminin, la mise en place d'épreuves pour les handicapés, et Dieu sait s'ils étaient nombreux à cette époque. On parlera aussi du rôle de l'École de Joinville, ce chaudron d'où sont sortis tant de champions.

On ne peut terminer ce rapide portrait de la conférence de Michel Merckel sans parler de quelques champions disparus pendant la tourmente, et souvent alors qu'ils auraient pu échapper à leur sort : Jean BOUIN, par exemple, le premier coureur à pied français à avoir officiellement possédé des records du monde en athlétisme, réformé dans un premier temps (il avait un cœur trop gros !) fit des pieds et des mains pour participer aux combats et tombe au front dès le mois de septembre 1914 ; le vainqueur du Tour de France de 1910, Octave LAPIZE, qui était sourd et de ce fait réformé, tenait absolument à participer aux combats. Il s'engage dans l'aviation, devient un pilote accompli et il est tué lors d'un combat aérien en 1917 ; un autre vainqueur du Tour, dont le père était Luxembourgeois et ainsi non mobilisable, François FABER, le "Géant de Colombes", s'engage dans la Légion étrangère, car il veut à tout prix participer aux combats ; il est tué dans le Pas-de-Calais en octobre 1914, son corps ne sera jamais retrouvé... On pourrait citer bien d'autres héros de ce conflit meurtrier : Michel Merckel a recensé 425 champions, tous sports confondus, disparus au front !

Sans parler de ceux qui, revenus handicapés, ont repris le chemin des stades et avec ténacité ont renoué avec le succès, comme par exemple Joseph GUILLEMOT, ancien chasseur à pied, qui a découvert l'athlétisme au front : victime d'une attaque au gaz moutarde, il a le poumon atrophié. Cet événement tragique ne l'empêche pas de s'entraîner d'arrache-pied après la guerre et en 1920, aux Jeux d'Anvers, il remporte le 5 000 m devant le légendaire Finlandais Paavo Nurmi... Un autre exemple extraordinaire, c'est celui du boxeur Eugène CRIQUI : il a eu la mâchoire inférieure fracassée, des dents arrachées et la langue tranchée par une balle lors de la terrible bataille des Éparges ; il devient alors ce que l'on appelait une gueule cassée. Subissant sept opérations, il est considéré comme perdu pour le sport. Contre l'avis de tous il reprendra le chemin des rings et le 2 juin 1923 il devient champion du monde des poids plumes !

Après ce conflit titanesque, le sport qui a perdu tant de champions, connaît contre toute attente un essor impressionnant, car il y a eu aussi des contacts formidables entre les nations alliées, comme les Anglais les Néo-Zélandais, grands spécialistes du rugby, les Américains, où le basket est roi, les Australiens grands adeptes des sports de plein air. Cet échange entre divers peuples, tous avec des motivations différentes, a créé un brassage d'idées et d'amitié formidable et la pratique du sport après la guerre en a profité : des fédérations se sont créées, des épreuves comme la future coupe de France de football dont l'inspirateur fut Charles SIMON, qui mourut lui aussi au front, ont trouvé leur origine pendant la fraternité des tranchées. Tout ceci est une face inconnue des événements tragiques de cette période, dont on ne parle jamais dans les manuels, un des seuls et très rares aspects positifs de cette guerre (avec les progrès de la médecine). On peut remercier Michel Merckel de nous l'avoir fait découvrir, et les Amis de l'Athlétisme de l'avoir invité pour en parler. Vraiment, pour les présents, une soirée inoubliable. Alain RUDELLE;

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