LANCERS : GESTE HERETIQUE ET SENSATION

Publié le par Amis de l'Athlétisme de la Vienne

On dit qu'il est vaniteux de parler de soi. Je le pense aussi. Mais je me dis également qu'alimenter notre blog, essayer d'intéresser le lecteur qui plus est s'il est entraîneur ou lanceur, ne peut être que bénéfique, et si l'on y apporte une touche d'humour et une anecdote à rire, c'est encore mieux. Alors je me lance....

 

Lors d'un précédent article du 2 mars 2014, "Lancer de poids : le geste final", avec à l'appui les photos de Bernard LHOMME et Hartmut BRIESENICK, j'ai tenté de démontrer ce qu'était le geste final parfait, avec ordonnancement dans la phase d'élan, de toute la chaîne musculaire, de la pointe des pieds aux phalanges de la main, passant par l'avancée du bassin et du buste, et le blocage de l'épaule gauche. Quelle ne va être la stupéfaction du lecteur en voyant la photo du nouvel article!!! Tout y est faux : certes l'engin a quitté la main droite, mais depuis 1 ou 2 centièmes de seconde seulement. La jambe gauche n'est pas en extension; la droite, fléchie, est toujours au sol; les fesses, le bassin et le buste sont en retrait; et l'épaule gauche est fuyante. C'est nul, hérétique. Dans un second temps, le lecteur va voir que je ne suis pas sur l'aire de lancer et que le poids a une forme bizarre. Comment et pourquoi?

Lors des championnats départementaux à Angoulême, en 1963 alors que j'étais encore cadet à l'US Confolentaise, appelés à nous rendre vers l'aire de lancer, il n'y avait pas de poids de 5kg, mais un poids senior de 7,257kg. Après des recherches d'une bonne demie heure, les officiels trouvèrent enfin un poids de 5kg. Entre temps, je m'étais longuement exercé avec le poids de 7kg. Quand vint mon tour de lancer, je trouvai avec étonnement le poids de 5kg léger, léger, comme je ne l'avais jamais ressenti auparavant. C'était euphorisant. N'ayant pas bu la potion magique de Panoramix, je compris immédiatement que cette sensation résultait de mes exercices avec le poids de 7kg, dont je fis une acquisition dans les jours qui suivirent. Pendant la fin de ma seconde année cadet puis les deux années junior suivantes, je le manipulais entre les jets officiels, lors de chaque compétition. Puis devenu espoir, à Poitiers avec l'ESPPEC, et devant bien entendu passer au poids de 7,257kg, il me fut impossible de trouver plus lourd, tant dans les magasins d'articles de sport, qu'en quincaillerie ou dans le domaine industriel.

Maître d'externat au Collège des Métiers du Batiment, à Vouneuil Sous Biard (devenu Lycée Auguste PERRET, rue de la Bugellerie à Poitiers en 1967), je parlai de mes recherches à un professeur chauffagiste-plombier qui dégota, je ne sais où, une bouée métallique de filet de pêche marin de forme ovale. A but d'exercice pour ses élèves, il en fit percer une extrémité et couler du plomb fondu. Eut-il voulu le faire qu'il n'aurait pas pu : le boulet pesait 14,5kg, soit à quelques grammes près, le double de l'engin de compétition. C'est celui de la photo. Sauf à être un colosse d'envergure internationale, j'en étais très loin, il était impossible de peaufiner la technique d'élan avec un tel engin, déjà très difficile à tenir plaqué contre le cou. Je l'utilisais donc quasi exclusivement, au cours des compétitions, entre les jets avec le boulet réglementaire, toujours en quête de la sensation de légèreté et non de technique. Mon idée avait du bon, car les "copains-adersaires" lanceurs, Pierre COLNARD, Arnjolt BEER, Yves BROUZET eux-mêmes, n'hésitaient pas à me l'emprunter lorsque c'était à mon tour d'entrer dans le cercle. Il nous arrivait parfois à Poitiers, lors de compétions régionales, par 2 face à face ou 3 formant triangle, de nous le renvoyer, au grand dam des jardiniers de Rébeilleau qui n'aimaient pas, mais vraiment pas du tout!!...

N'affectionnant guère le lancer de disque où ma technique était approximative, je décidai à la fin des années 60 sous le maillot de l'ASPTT, de m'entraîner, en catimini, tard le soir sur le stade annexe de Rébeilleau. Toujours pour les mêmes raisons de sensation de légèreté, je demandai aux serruriers du Lycée Auguste PERRET, de fabriquer un engin ressemblant à une grosse raquette de pingpong, devant peser environ 4kg, le double du disque réglementaire, ce qu'ils exécutèrent au gramme près, la masse du métal étant connue, et meuleuse à l'appui. Lors des régionaux qui suivirent en juin, les amis discoboles furent à moitié surpris, lorsqu'ils virent l'objet, que Johny WEHN, alors recordman du Poitou de la discipline, baptisa sur le champ "la poêle à frire de Rémi". Cette année là, "ma poêle à frire" me permit pour la première fois d'être champion du Poitou....

Manipuler de tels engins en cours de compétition, comporte toutefois ses revers. La sensation de légèreté de l'engin réglementaire est telle qu'elle génère, certes confiance en soi, mais aussi euphorie. Cette dernière induit de facto une plus grande vitesse d'exécution dans la prise d'élan. Mais un excès de vitesse entraîne souvent sa contravention, en l'occurrence, l'escamotage d'une partie du geste technique. Le bénéfice de la sensation de légèreté est immédiatement anéanti. Le cerveau doit donc gérer simultanément, durant les quelques secondes de la prise d'élan, la sensation de légèreté et la maitrise d'exécution. Et ce n'est pas aussi simple qu'il peut y paraitre.......

 

Anecdote : Pour porter mes engins, j'avais acheté chez le regretté Albert GOULIARD, un petit sac qu'Adidas destinait plus spécifiquement à cet cet effet. Par sécurité, Albert en avait fait renforcer le fond et toutes les coutures. Sur la photo, ce n'est pas celui partiellement caché par mes pieds et mollets (sac à vêtements), mais celui un peu plus en avant, avec "adidas" écrit verticalement, et que l'on voit dans sa longueur, vraiment réduite. Lors d'une compétition à Rébeilleau, alors que Jean-Claude LANGLAIS, Johny WEHN, Marceau VENITUS, Joël DUQUERROY, Bernard MOIZEAU, d'autres et moi-même, dans l'attente du début du concours, étions allongés sur la pelouse, je vis, paupières à demi fermées, cachées par mes mains, l'ami Alain RUDELLE, lui-même en attente d'en découdre sur 3000 ou 5000 mètres, rôder autour de nous, l’œil vif et malicieux, rusé comme un renard, cherchant manifestement à nous faire une entourloupe. De fait, croyant que personne ne le remarquait, il se mit soudain à courir comme un lapin, le buste à l’horizontale au-dessus de la pelouse, et saisit prestement les anses de mon petit sac. Mal lui en prit, car, emporté par son élan, ce n'est pas le sac qui monta vers lui, mais lui et ses 55kg qui furent plaqués au sol. Le petit sac contenait : le boulet de 14,5kg, 2 poids de 7kg, "ma poêle à frire" de 4kg et un disque de 2kg; détail qu'il ignorait manifestement..........

Rémy Faure

LANCERS : GESTE HERETIQUE ET SENSATION
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article